« Dire que nous étions un peu nerveux serait l’euphémisme de l’année. Aucun de nous n’avait fermé l’œil de la nuit. Nous n’avions pas la moindre idée de ce qui nous attendait ».

Fort heureusement, le capitaine du Kashi-Mar, dix-huit ans d’expérience le long de cette côte, aidé de son équipage aussi jeune que compétent, savait exactement comment nous nous sentions. Ils nous ont progressivement mis « dans le bain ». Kamis, Luis et moi avons mémorisé les signaux de détresse, étant entendu que même les nageurs les plus robustes peuvent se fatiguer à poursuivre les plus grandes créatures marines du monde, et qu’il n’est pas indigne de lever le bras pour demander de l’aide. Nous serions très proches, nous a-t-on dit, mais il ne fallait pas toucher les animaux ou se laisser toucher par eux. Une tape amicale de requin baleine peut vous assommer et vous faire sortir brutalement de votre zone de confort.

Pour saisir chaque instant de cette expérience, nous avons tous pris des notes que nous avons comparées le soir venu. Kami est celui qui a le mieux décrit l’excitation de la découverte, l’émerveillement, et enfin l’expérience totale qui consiste à nager avec des requins baleines.

Il faut un moment avant que l’adrénaline ne monte vraiment. Il faut acquérir les bons réflexes, comprendre les signaux, les règles de sécurité, mais après, ce n’est plus qu’une question de temps : quand l’avion de reconnaissance donne son OK, notre cœur se met à battre plus vite, nos nerfs sont à vif. Après avoir rêvé de ce moment, encore et encore, nous sommes prêt, nous attendons. Combinaison de plongée enfilée, palmes et masque en mains, et puis le signal « Go, go, go ! ». Nous sommes dans l’eau, les uns à côté des autres, la tête sous l’eau, le masque ajusté, scrutant à droite, à gauche, dans l’attente. Il n’y a rien à voir. Juste l’immense abysse ’bleu en dessous et autour de nous. Rien. Le silence.

Soudain, venu de nulle part, il est là. Nous avons les yeux rivés sur lui, il vient droit sur nous, et nous nous éloignons le plus possible de sa trajectoire à grands coups de palmes. Il fait quatre ou cinq mètres de long et il est magnifique. Gracieux. Tellement lent et calme. Il est énorme et bleu avec des milliers de petits points blancs. On nous a dit de chercher les « empreintes digitales », un motif placé juste sous la nageoire pectorale qui le distingue de n’importe quel autre requin baleine sur la planète. On nous a dit que nos photos pouvaient être utiles à la recherche scientifique alors nous essayons, de toutes nos forces, de faire une bonne photo.

Avant même que nous ayons réalisé qu’il était passé devant vous, il ne nous semble soudain plus si lent. Non, non, il va vite. Très vite. Et nous voulons si désespérément tenir le rythme. Nager, nager, nager, nager, se déplacer le plus vite possible, rester de côté, regarder. Regarder les lignes, la douceur.

S’émerveiller du gracieux mouvement de sa queue lorsqu’il se propulse sans effort hors de l’océan. Nous ne sommes qu’à quelques mètres de la surface et le soleil joue à travers l’eau, on dirait que ses rayons viennent vers nous, comme d’une source provenant des profondeurs de l’océan. C’est le monde des requins baleines, et nous faisons corps avec lui.

Nous avons rencontré, non pas un requin, mais trois pendant notre sortie sur le Kashi-Mar, par petits groupes, et nous avons suivi chacun d’eux jusqu’à ce qu’il décide de plonger et de disparaître.

Plus tard, nous avons fait une pause-déjeuner, un délicieux pique-nique qui avait un goût de paradis après l’eau salée sur nos lèvres, puis nous avons mis le cap sur le parc marin pour une baignade relaxante d’après déjeuner, avec masque et tuba. La séance avec les requins baleine était terminée, mais les merveilles du reef n’attendaient que nous. Avec un peu de chance, nous avons vu une tortue de mer, quelques dauphins, des milliers de poissons de toutes les couleurs, des coraux, et même une raie manta, parfaitement camouflée sous un manteau de sable blanc.

Alors que nous rentrions à la maison vers 16h30, nous avons pris conscience de ce que nous avions fait. Nous avions nagé avec les plus grandes créatures marines. Pas de cage, rien, juste le vaste océan, nous, et les plus belles choses qu’il nous serait peut-être donné de voir. Quelle émotion.

Nous prenions le petit déjeuner au café, sur la place, et le barman qui faisait les jus de fruits nous a donné une idée. Pourquoi ne pas compléter notre expérience en prenant un peu de hauteur ? Un jeune pilote nommé Gavin Penfold, que nous avions vu au journal télévisé le matin même alors qu’il battait un nouveau record, parcourant l’Australie d’une côte à l’autre sur son Microlight, habitait justement là, à Ningaloo, et proposait des tours en avion aux touristes. Nous étions censés partir le jour même, aurions-nous le temps ? Il fallait y aller sans perdre une minute.

Ce fut la cerise sur le gâteau, la crème dans le café. Tourbillonner dans le ciel, au-dessus du reef, dans un appareil de la taille d’un moustique fut une autre expérience incroyable. Nous avions exploré la côte et le reef sous l’eau, sur la terre ferme, et maintenant depuis le ciel. Quelle vue, quelle expérience, et quelle découverte fabuleuse.

Crédits photo : Wayne Osborn, WA Tourism, Sandra Ramini, Brad Norman